Les falaises sanctuaires essentiels pour la conservation de la biodiversité

Introduction                                                                             
Durant des millénaires les falaises dont celles de notre pays ont  été, dans leur grande majorité, difficilement accessibles à l’homme. Chez nous les premières explorations datent en effet des années 1930. Les falaises ont ainsi été largement épargnées  par les perturbations majeures générées par l’activité humaine ayant conduit ailleurs à la raréfaction, voire à la disparition de nombreuses espèces (incendies, déforestation, surpâturage, chasse, urbanisation, mise en culture, pesticides…) Cette tranquillité et cet isolement ont fait que dans le passé  les falaises ont souvent constitué les derniers refuges pour certaines espèces (Vidal).Selon une théorie généralement admise et confirmée par les analyses polliniques tel fut ainsi le cas lors des  dernières glaciations (Riss ,Würm) où dans diverses zones refuges non couvertes de glace  et grâce à des microclimats favorables, le maintien certes  limité de certaines variétés végétales et animales fût possible. Par exemple Biscutella laevigata subsp varia rare mais encore présente dans quelques parois de notre pays, dont les migrations et  modifications chromosomiques font l’objet d’études poussées.

I. Les écosystèmes des sites rocheux.

 Il a été constaté que dans les  écosystèmes qui n’avaient  pas été profondément modifiés par l’homme,la biodiversité s’était  adaptée à des conditions de vie difficiles.Contrairement à la majorité des habitats naturels, l’habitat de falaise ne correspond pas à une définition écologique bien précise, mais est une mosaïque de microhabitats. Par cette diversité Il représente donc un important potentiel de biodiversité qu’il faut absolument préserver.On  retrouve toujours dans une falaise 3 éléments essentiels : un pied, un plateau sommital et une face verticale ou quasi-verticale  généralement constituée de divers types de  roches. En Belgique nos observations ont concerné principalement les falaises à roche carbonatées calcaires et dolomitiques

 II- Importance de la flore des falaises.

 Les falaises non exploitées sont en général abondamment colonisées par des végétaux inférieurs tels que mousses, algues, lichens, fougères. Toutefois, à la faveur d’anfractuosités, de fissures ou de replats, des végétaux supérieurs  s’y développent et notamment  des espèces des  pelouses xériques,  des ligneux, des chaméphytes, des plantes succulentes.

 Les recherches bibliographiques que nous avons effectuées sur la flore des falaises montrent que les falaises, quelques soient leurs types et leurs localisations géographiques, avaient été peu étudiées et tout particulièrement les falaises difficiles d’accès. Au lieu d’utiliser l’escalade pour échantillonner les plantes des falaises, la plupart des auteurs s’étaient en effet contenté d’une vision éloignée et c’est seulement en 1997 que j’ai personnellement entrepris une étude des sites rocheux  en escaladant systématiquement les parois les plus représentatives.

En ce qui concerne l’importance de la flore des falaises en tant qu’élément indispensable au maintien de la biodiversité, il faut souligner que :

1.  En intégrant de multiples facteurs stationnels tels que ,par exemple l’exposition au vent et au soleil, ainsi que les écarts des températures (glacial en hiver, chaud et sec en été) et en réagissant  aux conditions du milieu et à leurs variations, la flore et les communautés végétales qui s’y maintiennent constituent parfois le dernier  refuge pour des espèces très sensibles à la concurrence.

2. Cette flore compte un certain nombre d’espèces d’intérêt patrimonial (espèces protégées), et certains groupements végétaux constituent des habitats d’intérêt communautaire (Natura 2000) :

-8210 = pentes rocheuses calcaires avec végétation chasmophytique  

-6110 = pelouses rupicoles calcaires de l’Alysso-Sedion albi (prioritaire)

3. Les écosystèmes de falaises ont joué un rôle majeur dans la conservation de certaines plantes et communautés végétales reliques, grâce à des microclimats favorables ils ont pu résister aux fluctuations climatiques engendrées par les cycles glaciaires - interglaciaires.

4. Éléments de base des chaînes alimentaires, les végétaux sont de ce fait un maillon essentiel de l’écosystème. Influencés par des conditions climatiques stationnelles locales, ils structurent les habitats dont dépendent les biocénoses associées.

Cette végétation des falaises constitue donc un compartiment biologique indispensable au maintien de la biodiversité.

 

III-Variation de la dynamique évolutive des associations végétales sur les surfaces verticales et incidences négatives des activités humaines.

 III-1-Dynamique évolutive

La principale originalité de ces écosystèmes rupestres réside dans leur verticalité et le rôle important de la gravité (nombreuses espèces barochores), qui va influencer fortement  la dynamique et la  composition des communautés  végétales souvent très spécialisées qui s’y rencontrent. L’implantation et la germination des graines, sont évidement  bien plus aléatoires  sur un support vertical (Vidal).Nous avons donc pu constater que la verticalité  et la configuration physique de ces surfaces  jouent un rôle prépondérant quant à la dynamique de la succession  des différents stades des séries évolutives.Cette dynamique est toujours lente et le cortège floristique peut rester inchangé durant des décennies.

Ansereme

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Ces photos prises des environs du rocher Bayard en 1895 et 2014 montrent que la végétation de ces parois s’est très peu modifiée en plus d’un siècle.

 

Lors de nos recherches nous avons remarqué, que les falaises actuellement protégées de la fréquentation humaine hébergent toujours une flore remarquable.

 

Moniat copieLa réserve du  Moniat  Helianthemum apenninum             

   ChamiatLe Chamiat avec Dianthus gratiapolitanus

AywailleLa réserve d’Aywaille avec Sempervivum funckii   

Poilvache champalleLa  réserve de Champalle avec Draba aizoides

 

III-2-Incidences négatives causées par la fréquentation humaine.

 Nous avons considéré deux  types principaux de surfaces verticales

a/Parois  verticales peu fissurées

La dynamique évolutive y est très lente, la fréquentation humaine en polissant la roche ne permettra plus aux espèces pionnières comme les lichens de s’installer. Lors de nettoyages intensifs le substrat a été éliminé des trous et fissures, avec pour conséquence l’impossibilité d’une régénération naturelle des espèces.

 

Parois 3 1024x768

 

b/Parois verticales à fissures nombreuses  et profondes.                               

Paroi fortement fissurée, fissures verticales et horizontales.

La colonisation par les espèces végétales sera influencée par la profondeur des fissures. La succession des différents stades de la série évolutive sera plus rapide, la profondeur des fissures va permettre  une augmentation régulière de l’épaisseur du substrat ainsi que le maintien d’une certaine humidité pendant la sécheresse. Dans ce cas également la fréquentation humaine aura  une action négative. En effet  la plupart des  espèces végétales protégées sont très  sensibles au piétinement, celui-ci va également favoriser le phénomène d’anthropochorie. Nous avons constaté une régression progressive du cortège floristique et la généralisation de la colonisation des fissures par ; des Poacées qui résistent bien au piétinement,  du lierre, des ronces, et des envahissantes, avec pour conséquence la disparition régulière des espèces patrimoniales.

 

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IV-Evolution de la fréquentation humaine.

L’accroissement de cette fréquentation est directement lié à l’évolution des sports et loisirs ayant pour cadre le milieu naturel L’importance de cette fréquentation est liée à l’évolution que connaît tout sport, ceci en parallèle avec les progrès de la technologie moderne (outillage électrique ou thermique portable par exemple) et certains effets  de mode.Toute activité sportive est presque toujours à ses débuts une occupation de loisir pratiquée par quelques amateurs passionnés. Le nombre d’amateurs augmentant, vient ensuite l’émulation et le stade de la performance qui va favoriser une amélioration constante des techniques spécifiques à la pratique de ce sport et du matériel.                                                                                                                                                             Après un temps plus ou moins long nous arrivons au stade actuel de la plupart des sports, la commercialisation, le professionnalisme et la recherche du profit avec ses corollaires la concurrence et la surexploitation.  A ce stade il faut investir en matériel et  pour que cela soit rentable il devient évidement nécessaire de recruter un maximum de participants. Il est donc impératif d’avoir des parois facilement accessibles et qui permettent le passage d’un maximum de personnes sans trop de risques. L’adaptation au milieu naturel des techniques pratiquées dans les salles et parcs aventure  ainsi que la pose d’un important équipement permanent va le permettre.

 

V-1- Evolution du matériel  de sécurité.

Oublie piton comp 4636 1024x768

 Piton d’assurance. Utilisé au début en montagne il est enfoncé dans une fissure à l’aide d’un marteau. Il est assez facilement récupérable.Ce système utilisait la configuration naturelle du rocher, les zones où la pose des pitons s’avérait impossible étaient évidement peu fréquentées car trop exposées. Ces zones étaient par conséquent naturellement protégées.

 

Oublie plaquettes comp 4660 1024x768

 Plaquettes Il faut au préalable forer un logement dans lequel est introduite une cheville sur laquelle est fixé un goujon. Dans les années soixante on utilisait un marteau (massette) et un tamponnoir. Maintenant on utilise un perforateur à percussion thermique ou électrique. On notera au passage la corrosion des goujons ? Cette technique va permettre l’accès aux zones qui auparavant étaient naturellement protégées.

 

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 Broche scellée (ciment ou résine) dans un trou pratiqué au perforateur à percussion. Cet équipement permanent s’est généralisé et des centaines de broches ont ainsi été installées en quelques années.

 

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Suréquipement  d’une paroi.

 

V-2-Surfréquentation  des parois

Différentes études effectuées à l’étranger et  dans des pays limitrophes  ont démontré  que partout où il y a équipements permanents il y a surfréquentation.  Les études que nous avons consultées définissent le plus souvent les équipements permanents comme : équipements ayant un caractère pérenne (échelles, pitons ou broches fixés dans la roche, amarrages forés, via ferrata…)Chaque année des jeunes rapaces et des œufs sont dérobés par des braconniers, la présence d’équipements permanents ne peut selon toute évidence que leurs faciliter l’accès aux parois.

 

VI-Déstabilisation de la roche par l’emploi du perforateur

La pose des broches, en suivant les règles de l’art et la réglementation applicable aux équipements permanents de sécurité, offre une sécurité accrue aux grimpeurs. Néanmoins  cette technique pose plusieurs problèmes :

 1/ L’utilisation du perforateur à percussion destiné à forer le logement de la broche risque de déstabiliser les couches lithiques et favorise l’apparition de fissures, ce qui aggrave le risque de chutes de  rochers.

 

 Broche dave 1024x768                 

 2/ Des milliers de broches ont été plantées dans les sites rocheux en utilisant le perforateur à percussion. Nous avions pourtant averti dès 2001  des inconvénients et risques de cette façon de faire. D’éminents scientifiques comme le Pr J.Duvigneaud avaient dès 1997 mis en garde contre de telles pratiques.Dans son article sur Chaleux paru dans la revue du CAB  « Ardenne et Alpes » le Professeur Margot des facultés Notre Dame de la Paix à Namur avait dénoncé l’emploi du perforateur à percussion  mais cela n’avait  pas retenu l’attention des associations sportives.

 3/ Il se pose le problème du remplacement des broches, car très sensibles à la friction, elles s’usent très rapidement.Jusqu'à présent à cause de petites difficultés de démontage  les responsables se contentaient de scier à ras les anciennes broches et de forer un nouveau logement au perforateur à percussion. Cette façon de faire est évidement inacceptable car elle déstabilise encore plus les couches lithiques et augmente la dislocation de la roche.

 

 VII-Biodiversité et cycle biologique

 Le terme biodiversité englobe la diversité des espèces, la diversité génétique, et la diversité des habitats.

 Importance de la diversité génétique.

 « Le brassage des gènes via la reproduction sexuée est la clé de l'évolution et de l'adaptation des espèces à des conditions toujours changeantes. Le clonage assure une dissémination efficace mais ne permet pas cette plasticité, et des plantes qui se reproduiraient uniquement par multiplication végétative ne pourraient pas évoluer, coloniser de nouveaux milieux ou s'adapter aux conditions changeantes des milieux où elles sont déjà implantées. »(Christophe Belin - Docteur-Maître de conférence à l’Université de Perpignan)

 Il est donc indispensable que les plantes soient en mesure d’effectuer un cycle biologique complet. La période la plus critique est évidement la floraison  printanière, mais malheureusement c’est également à ce moment que l’on constate  la plus forte fréquentation humaine.Si dans certains pays une signalisation adaptée semble assurer une protection d’une efficacité suffisante nous devons constater qu’il n’en va pas de même dans notre pays où depuis 1997, en tant qu’observateurs participants, nous menons sans résultats une politique d’information auprès des responsables. En effet chaque année nous observons que des espèces protégées sont volontairement arrachées ou piétinées.

Filet 1
Filet 2

VIII-Incidences de certains travaux sur le projet Natura 2000. (Filets de protection)

Il s’avère que des travaux de sécurisation des parois par la pose de filets métalliques s’avèrent parfois nécessaires. Loin de nous l’idée de remettre en question ces travaux. Il s’agit comme le prévoit le « Guide de conseils méthodologiques de l’article 6, paragraphes 3 et 4, de la directive «habitats 92/43/CEE » publié par la Commission européenne  DG Environnement, d’une RIIPM (raison impérative d’intérêt public majeur). Néanmoins il est apparu que la pose de ces filets de protection métalliques favorisait parfois le développement de certaines espèces grimpantes qui y trouvent un support idéal (par exemple le lierre) Une surveillance s’avère donc nécessaire afin d’éliminer régulièrement les espèces indésirables, opération qui soit dit en passant facilitera le contrôle de l’état des filets. Cette mesure d’atténuation devrait suffire à maintenir ces parois dans un état de conservation favorable  aux termes de la directive 92/43. Dans ce cas des mesures compensatoires ne semblent pas indispensables.

IX-La faune des falaises

Les falaises constituent avant tout un lieu privilégié pour la nidification de nombreuses espèces d’oiseaux qui y cherchent la tranquillité vis-à-vis des prédateurs et des dérangements,  Elles constituent un habitat privilégié pour deux grands groupes d’oiseaux : les oiseaux marins et les rapaces. Mais on y rencontre également de nombreuses espèces de mammifères, particulièrement les chauves-souris et aussi parfois certaines espèces de reptiles, ainsi que des araignées et des insectes.

IX-1-Les vertébrés prioritaires. (Annexe IV a de la Directive 92/43 CEE)

Le  lézard des  murailles

Lézard des murailles

Podarcis muralis  atteint en Wallonie sa limite d'aire de répartition vers le nord. Il se rencontre principalement  dans les milieux rocheux liés aux grandes vallées. La plupart de ces populations ont un caractère relictuel, elles sont donc isolées de longue date et d'un intérêt patrimonial élevé. Franz Gassert signale deux sous-espèces observées, brogniardi et merremius (Böhme 1986)Les insectes constituant l’alimentation exclusive de cette espèce prioritaire  font donc partie intégrante de son habitat. Il est donc primordial de permettre aux populations d’insectes de se développer librement.

Comportement : Animal à sang froid le Lézard des murailles est diurne, il est actif pendant 9 à 12 h suivant la saison et la température.

Le comportement de chauffage au soleil a une grande importance. Lorsque la température du substrat est proche de la température préférée des Lézards (34°C) ceux-ci passent 95% de leur temps à se chauffer au soleil (Edsman 1986).Il est donc indispensable que son habitat soit préservé de toute pollution et que sa quiétude soit préservée.

 

X-Les oiseaux rupicoles.

Une espèce est considérée comme rupestre dans la mesure où elle utilise les habitats de falaises comme centre de son domaine vital, notamment au cours de la phase la plus importante de son cycle de vie, la période de reproduction.

X-1-Législation communautaire en matière de protection de la nature

« En Europe, la protection de la nature est régie par deux actes législatifs fondamentaux, la directive «Oiseaux» et la directive «Habitats». Au titre de la directive «Oiseaux», les États membres sont tenus de désigner tous les sites les plus appropriés en tant que ZPS afin d’assurer la protection des espèces d'oiseaux sauvages. Pour déterminer si les États membres se sont conformés à leur obligation de désignation des ZPS, la Commission recourt aux meilleures données ornithologiques disponibles. Si les informations scientifiques nécessaires font défaut, la Commission utilise les inventaires nationaux des zones importantes pour la conservation des oiseaux (ZICO) établis par l'organisation non gouvernementale BirdLife International. Sans être juridiquement contraignant, l'inventaire ZICO est basé sur des critères scientifiques internationalement admis. La Cour de justice a déjà pris acte de sa valeur scientifique.

La directive «Habitats»impose aux États membres l'obligation de désigner des sites d'importance communautaire (SIC) pour la conservation de certains types d'habitats naturels et, une fois que ces sites ont été formellement institués par une décision de la Commission, de les désigner en tant que zones spéciales de conservation (ZSC) dans un délai de six ans. L'ensemble des ZPS et des SIC forment le réseau Natura 2000 de zones protégées, principal instrument communautaire de conservation des habitats naturels et des espèces animales et végétales qu'ils abritent. »

 

X-2-Importance des falaises  sites de nidification privilégiés.

Le littoral de notre pays ne possédant pas de falaises, Nos observations ont concerné les sites rocheux de nos vallées et en particulier les rapaces, espèces extrêmement sensibles au dérangement dont l’habitat naturel se raréfie actuellement de plus en plus. Les parois rocheuses accueillent des espèces d’oiseaux parmi les plus menacés en Europe et tout particulièrement des rapaces qui comptent très peu d’effectifs avec quelques dizaines de couples. En outre, nous avons pu observer que les rapaces rupestres sont habituellement très fidèles à leur site de reproduction.  Les études consultées insistent unanimement sur la nécessité de garantir une quiétude suffisante à ces espèces très sensible au dérangement.

Selon Michel Terrasse, Vice-président de la LPO Mission Rapaces.

« Les activités telles que l’escalade, la randonnée ou encore le vol à voile connaissent aujourd’hui un essor considérable. Elles sont source de dérangements en période de nidification (absence de reproduction, abandon de couvées ou de nichées) et contribuent à réduire le nombre de sites naturels favorables (abandon de sites). Cette problématique affecte tous les rapaces rupestres et nécessite des actions d’information et de sensibilisation du grand public et des acteurs concernés. »

Les sites rocheux devraient donc être considérés comme  « Zones Importantes pour la Conservation des Oiseaux » (ZICO). Directive du Conseil du  30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages (2009/147/CE)

 

X-3- Importance des rapaces

Les rapaces occupent une  position « Clef de voûte » dans les écosystèmes et participent ainsi à l’équilibre des strates trophiques. Ils sont donc indispensables au maintien de la biodiversité. Charles Elton (Animal ecology) « Certaines espèces, dites espèces clé de voûte, ont un rôle important au sein des écosystèmes, par leur influence sur plusieurs autres espèces pouvant être réparties dans différents niveaux trophiques ».

Les principaux rapaces concernés  sont ; Le faucon Pèlerin, le hibou Grand Duc, le faucon crécerelle.

Nous n’avons  pu accéder à des  d’études récentes concernant les statistiques actuelles de fréquentation et de nidification sur parois rocheuses.

 La seule étude systématique effectuée sur des  parois rocheuses que nous avons pu consulter date de 1988 mais ses pertinentes observations sont toujours d’actualité.Il s’agit de « L’influence de l’escalade des falaises sur les oiseaux rupicoles en Haute-Meuse » publiée par l’ornithologue Jean -Paul Fouarge ..Un relevé dans différents sites où se pratique l’escalade mentionnait à l’époque :

Choucas des tours (Corvus monedula)

Faucon crécerelle (Falco tinnunculus)

Pigeon colombin   (Columba oenas)

Faucon pèlerin       (Falco peregrinus)

Chouette effraie    (Tyto alba)   Dave, Freyr

Chouette hullote    (Stryx aluco)  Dave, Profondeville.

 

a /Le faucon pèlerin.

Cette espèce qui, de générations en  générations, avait été présente dans notre pays, avait pour diverses raisons cessé de nicher dans nos régions.La dernière couvée de Faucons pèlerins  aurait  en effet été observée en Belgique en 1958 et l’espèce aurait totalement disparu de notre territoire dans les années 60.L’interdiction de certains pesticides et divers programmes de protection à travers toute l’Europe ont permis une lente réapparition des  populations  de Faucons pèlerins et le 7 avril 1973, Willy Suetens, brillant ornithologue belge et président du F.I.R., observe un Faucon pèlerin dans les rochers de Waulsort, en bordure de Meuse, non loin en amont de Dinant.

 Rochers de Waulsort

(Les rochers de Waulsort : Site de nidification habituel du Faucon pèlerin- mais cette année 2014 un ornithologue  spécialiste des rapaces nous a signalé que le couple  s’est établi sur un autre rocher à proximité du site.) Ce site abrite également Saxifraga hypnoïdes espèce végétale rare et protégée.

 Depuis  une lente augmentation de la population de ce falconidé a été constatée.En Wallonie, le nombre de couples nicheurs serait estimé à environ une trentaine.Cette espèce est très sensible au dérangement comme nous avons pu le constater cette année (2014)  au rocher de Néviau à Dave où les mesures de protection ont été insuffisantes, (Faucon pèlerin à Dave) avec pour conséquence l’abandon du site.

 L’importance du respect de la quiétude pendant la période nécessaire à la formation du couple, la parade, l’accouplement, la nidification, et la dépendance fait l’unanimité parmi les spécialistes du monde scientifique.

J P Fouarge mentionnait déjà dans son étude en 1988« Aucun site traditionnel fort fréquenté par les grimpeurs n’abritait de Faucon Crécerelle cette année. Il semble que le faucon Crécerelle ne puisse plus nicher en ces lieux ; s’il s’y installe en mars grâce à la tranquillité momentanée due aux pluies-on ne grimpe que par temps sec-il sera chassé par le beau temps…et les grimpeurs. Le cas du faucon pèlerin qui s’installe encore plus tôt pourrait poser des problèmes du même ordre. »

Le problème de la protection du faucon pèlerin a fait l’objet de nombreuses études scientifique dans les pays concernés. En France en ce qui concerne les sites Natura 2000  on applique généralement les mesures préconisées par D .HERMANT du Conservatoire des sites naturels bourguignons lors du Cinquième Forum des gestionnaires d’espaces protégés. Ces mesures  ont été reprises dans l’étude de MOUNET JP-Maître de conférences HDR en Sociologie du sport- Docteur en Ecologie -  Université Joseph Fourier (Grenoble 1)« - la pratique de l’escalade, de l’ULM, des ailes volantes, les travaux publics et privés (coupes forestières comprises) ont été interdits du 15 février au 15 juin.Le bilan a été nettement positif puisqu’on a assisté en 10 ans à une progression du nombre de couples de faucons pèlerins de 2 à 22.

Un autre exemple intéressant ; sur le site de falaise dans la vallée de l’Yonne (Le Saussois)La pratique de l’escalade est interdite du 1 janvier au 15 mars et l’interdiction est prolongée jusqu’au 15 juin si un couple de faucons s’installe sur le site. »

Pour appliquer ce genre de mesures en Belgique il sera évidement nécessaire d’affiner les dates en fonction du décalage climatique provoqué par la différence de latitude. Il faudra également éviter les  effets pervers engendrés par des mesures de compromis, par exemple des mesures qui ne seraient prises que si des rapaces s’installent sur un site, il est évidement très tentant de faire en sorte qu’ils ne s’installent pas. Coïncidence, sans aucun doute, j’ai souvent trouvé des dépouilles de rapaces aux abords de parois utilisées pour des loisirs.

 En Allemagne Fermeture temporaire  afin de garantir la quiétude pendant  la saison de reproduction du faucon pèlerin et du hibou grand -duc.

 b/Hibou grand-duc (Bubo bubo)

En Belgique la régression de l’espèce aurait été  constatée dès la fin du siècle dernier.  Bergerhausen  signale encore dix couples nicheurs en Belgique en 1928 .Il signale des observations de sujets isolés jusqu’en 1961 Le retour du Hibou grand-duc dans nos régions serait la conséquence directe des réintroductions réalisées par la société allemande A.Z.W.U. (Aktion zur Wiedereinbürgerung des Uhus) dans la RFA dès 1963.Les premières nidifications dans notre pays datent de 1982 et en 1987, 12 couples nicheurs avaient alors  été observés en Wallonie.

Biotope

Selon l’étude de Laurent& Weiss « La préférence va, lorsqu’il a le choix, aux carrières abandonnées et falaises naturelles de grandes tailles (max. Connu : 500m de long et 90m de haut), à relief rocheux vertical très développé, généralement recouvert d’une végétation colonisante herbacée ou arbustive. »

Selon le Code A 215 du Catalogue des espèces et habitats des sites Natura 2000 de la Région Wallonne« La population est estimée entre 85 et 100 couples, qui seraient essentiellement répartis au sud du Sillon-Sambre-et-Meuse. Quelques carrières sont aussi occupées dans le Brabant wallon et en Hainaut occidental.Cette espèce peut se rencontrer partout en Wallonie.Sur des sites utilisés pour les loisirs, particulièrement l’escalade, les voies devraient être tracées en fonction de la présence du hibou grand-duc. Il est impératif de ne pas passer trop près du nid lors des escalades. Si c’est le cas, il vaut mieux fermer la voie au plus vite et l’ouvrir à nouveau en fin de nidification. »Il faut noter que la durée d’élevage des jeunes est de 20 à 24 semaines.

Certains sites rocheux ont hébergé régulièrement le Hibou grand-duc pendant des années par exemple à la roche Al’ Rue (RN), et la réserve naturelle d’Aywaille. Le statut de réserve naturelle lui réservant la quiétude souhaitée mais ne le préserve pas du braconnage.

 

CONCLUSIONS

Les falaises, milieux rupicoles abritent une  biodiversité exceptionnelle. Ce sont des sanctuaires qu’il devient urgent de préserver efficacement, sachant que les atteintes qui y sont actuellement portées seront  difficiles à réparer en raison des contraintes naturelles de ces milieux.

Ce sont également des sites majeurs pour la conservation des rapaces.

Tous les auteurs scientifiques qui ont publié sur le sujet et que nous avons consultés situent la période sensible:
-Pour la végétation depuis l’apparition des jeunes pousses et l’ouverture des bourgeons jusqu'à la fin de la floraison et de la maturation des graines. Ce qui équivaut à notre latitude aux environs du 15 mars jusqu'à fin juin.
-Pour les rapaces de janvier jusqu'à la fin de la période de dépendance. Par exemple en Allemagne, une interdiction est appliquée sur les sites fréquentés par les rapaces du 15 janvier au 31 juillet, en France du 15 février au 15 juin,

 Les sites rocheux ont été proposés et acceptés dans le cadre du projet Natura 2000 et bénéficient  donc des mesures de protections ainsi que du principe de précaution prévus par les directives habitats et cela même si les arrêtés de désignation avec leurs mesures spécifiques tardent à être mis en œuvre.

                                                                                                                                                                                                                  Guy Bungart  septembre 2014

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 -III SEMINARIO DE ESPACIOS NATURALES PROTEGIDOS Y DEPORTES DE MONTANA-Escalada en espacios naturales protegidos.

 

 

 

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