Natura 2000-Impact de la pratique de l’escalade

Utilisation des poudres antidérapantes

Historique

L’utilisation d’une poudre antidérapante remonte aux années 60.

L’escalade des rochers était à cette époque surtout pratiquée comme entraînement pour préparer la saison en montagne. La technique de grimpe était celle de l’alpinisme.

Il se pratiquait déjà dans la forêt de Fontainebleau, où il existe des petits rochers de quelques mètres très lisses, une escalade très spéciale sur des prises minuscules.

Les adeptes de cette grimpe utilisaient une substance résineuse appelée « pof » afin d’obtenir plus d’adhérence.

Le pof n’était alors utilisé dans nos rochers que par quelques français pratiquant à Fontainebleau et n’avait pour ainsi dire aucun adepte  parmi les alpinistes belges.

Dans les années 90 apparaissent les salles d’escalades.

La multiplication de ces salles  et leur succès a eu pour conséquence l’émergence d’une discipline à part entière, la grimpe en salle et son esprit de compétition. L’assurage par le haut (moulinette) ainsi que la généralisation du baudrier offrant une sécurité maximum, et supprimant le risque,  va permettre aux  grimpeurs en utilisant  certaines techniques utilisées par les gymnastes d’aborder des difficultés de plus en plus importantes.

L’utilisation de la poudre appelée « magnésie » est une de ces techniques.

 

La  magnésie ?

La magnésie anhydre MgO, découverte par Black en 1755, est une poudre blanche, de densité 2,7, fondant vers 2 500 °C. Mise en contact avec l'eau, elle se transforme en hydroxyde ou magnésie hydratée Mg(OH)2. Indécomposable par la chaleur, elle est difficilement réduite par le carbone ou l'aluminium, à haute température.

 En  pharmacie la magnésie (Oxyde ou hydroxyde de magnésium) est utilisée pour son action laxative, antiacide et absorbante des gaz intestinaux. Elle se présente sous trois formes, la magnésie calcinée légère, ou magnésie française, la magnésie calcinée lourde, ou magnésie anglaise, et la magnésie hydratée, ou hydroxyde de magnésium, antidote des empoisonnements par l'arsenic.

 Ce que les sportifs et grimpeurs appellent  magnésie est une poudre utilisée par les gymnastes pour absorber la transpiration. Il s'agit principalement de carbonate de magnésium, mais on y ajoute souvent d’autres substances dont le sulfate de magnésium qui agit comme agent séchant.

Beaucoup de grimpeurs croient que cela améliore l'adhérence sur le rocher ce qui est très discutable, d'autres pensent que cela n'a qu'un aspect purement psychologique. Nous n’entrerons pas dans ce débat de grimpeurs il a été longuement expliqué par Stéphane Hanssens dans son excellent article paru dans la revue du CAB « Ardennes et Alpes du premier trimestre 2012 », il y fait de judicieuses recommandations qui ne sont malheureusement que très peu suivies.

Pour des raisons environnementales, l'utilisation de la magnésie a été controversée dans certains sites. Des articles traitant du sujet ont entre autre parus dès les années 90 dans « Ardenne et Alpes » revue du Club Alpin Belge.

Il  avait en effet été remarqué que dans les zones où la pluie est insuffisante (ou bien où la falaise est en dévers) des traces disgracieuses de magnésie peuvent persister sur les voies, et que lors du ruissellement de la pluie sur les parois, les résidus de magnésie sont susceptibles de former des dépôts.

Des conseils incitant à ne plus utiliser de « Magnésie » ont été régulièrement publiés depuis 16 ans mais sont toujours restés sans effet car aucune mesure efficace n’a été prise sur le terrain pour les faire respecter.

 

La colophane (POF) est le résidu solide obtenu après distillation de la térébenthine, oléorésine (appelée aussi gemme), substance récoltée à partir des arbres résineux et en particulier les pins (le genre Pinus) par une opération que l'on appelle le gemmage.

Nous n’avons pas encore eu le temps d’effectuer des observations approfondies concernant cette substance le principe de précaution doit donc être appliqué et une étude scientifique d’impact réalisée.

La « Magnésie des grimpeurs» du point de vue chimique.

La substance la  plus active  dans le mélange  est le sulfate de magnésium anhydre MgSO4 en raison de son fort pouvoir desséchant et de sa polyvalence. Il peut capter 6 à 7 molécules d'eau pour former du sulfate de magnésium hexahydraté (Hexahydrite forme cristalline MgSO4, 6H2O) ou heptahydraté (Epsomite forme cristalline).L’Epsomite (MgSO4, 7H2O) sulfate hydraté, présente une solubilité de 85 kilos pour 100 litres d'eau à 0 °C).  De pH neutre avec une vitesse de séchage rapide le sulfate de magnésium anhydre est utilisé en chimie pour éliminer les traces d'eau des liquides organiques. Dans la nature on trouve généralement un mélange d’Hexahydrite et d’Epsomite dans des proportions variables.

En présence d'eau, ces sels produisent des anions sulfate SO42- et des cations magnésium Mg2+.Les anions sulfate SO42- apportés au sol par le sulfate de magnésium vont l’acidifier. Les sulfates de sodium, de potassium et de magnésium sont tous hydrosolubles, alors que les sulfates de calcium, de baryum et des métaux lourds ne le sont pas. Les sulfates dissous peuvent être réduits en sulfures, qui se volatilisent dans l'air sous forme de sulfure d'hydrogène, ou sont précipités sous forme d'un sel insoluble ou encore incorporés dans les organismes vivants.

Le sulfate peut être attaqué par une bactérie qui le réduit en sulfure d'hydrogène (H2S).

Une  concentration importante en sulfates hydrosolubles peut être  très corrosive, par exemple pour les tuyauteries, phénomène fréquent en géothermie. Dans les endroits où l'on retrouve des concentrations importantes en sulfate, il est commun d'utiliser des matériaux résistants à la corrosion, comme des tuyaux en plastique.

 

2013-Corrosion de plaquettes dans une zone contaminée par la magnésie. Coïncidence ?

Impact de la «  magnésie » sur les habitats des rochers classés « Natura 2000 ».

 La pollution par cette substance chimique (carbonate et sulfate de magnésium)  a un impact négatif important sur l’état de conservation des sites rocheux  Natura 2000.

L’image angélique du grimpeur utilisant parcimonieusement un peu de magnésie pour forcer un passage très délicat doit être abandonnée, la réalité est toute différente.

Des  grimpeurs utilisent actuellement massivement  et  systématiquement cette substance parfois même pour marquer les prises suivant un code « les ticks mark » qui indique même combien de fois il faut utiliser la prise (main, pied, pied et mains, etc.) (Un trait de parfois 30 cm pour une main, deux traits pour une main et un pied etc.)

Les  résultats constatés sont impressionnants, l’accumulation de poudre blanche à forte proportion de sulfate (mis en évidence par un test qualitatif au chlorure de baryum BaCl2) sature les fissures, vires  et replats éliminant toute végétation.

Sur les parois la présence du sulfate qui est un fongicide puissant détruit les lichens ainsi que les mousses (Espèces protégées).

 

         Cristaux d’Epsomite dans des fissures                        

  Epsomite mélangé au substrat                                       

Fissure saturée à Dave

Utilisation abusive

Certaines parois sont devenues des déserts biologiques, ici  à Beez

 

Impact des poudres antidérapantes sur les invertébrés

Les insectes, arachnides,etc

La respiration :

Parmi ces  arthropodes, certains de très petite taille respirent par diffusion de l'oxygène à travers la paroi chitineuse* du corps. Mais, en général, ces animaux sont oxygénés grâce à un système de trachées, sortes de très petits tubes creux permettant à l'air de circuler partout. Les trachées se ramifient en tubes de plus en plus fins, les trachéoles, qui conduisent l'air dans tous les organes.

L'air  pénètre dans les trachées par les stigmates, minuscules trous situés par paires de chaque côté du thorax et de l'abdomen de l'individu. Les stigmates possèdent divers mécanismes, variant d'une espèce à l'autre : un appareil filtrant contre les poussières ou parasites, une valve permettant une régulation des échanges gazeux, ou encore un mécanisme réduisant les pertes d’eau.

*(La Chitine est le Poly-acetylglucosamine polymère naturel qui se combine au carbonate de calcium pour former l’exosquelette des arthropodes.)

Stigmate détails de l’appareil filtrant

Mis en contact avec une poudre, les appareils filtrant des stigmates vont se colmater, et l’animal finira  par ne  plus pouvoir respirer. Lorsqu’il s’agit du sulfate de magnésium, dont le pouvoir de dessiccation est important, une quantité même minime, introduite dans le mécanisme réduisant les pertes d’eau aura pour effet de créer un déficit en eau fatal. En effet l’eau est indispensable pour tous les processus physiques et chimiques. En outre ces espèces  ne possèdent  généralement pas de substance genre hémoglobine qui fixe l’oxygène, celui-ci est alors  véhiculé par l’eau contenu dans la lymphe pour être ensuite distribué aux organes. La quantité d’eau appropriée doit donc absolument être maintenue constante.

Les vertébrés prioritaires

Le  lézard des  murailles.

Podarcis muralis  atteint en Wallonie sa limite d'aire de répartition vers le nord. Il se rencontre principalement  dans les milieux rocheux liés aux grandes vallées, mais il a été également observé en Flandre et dans la Région de Bruxelles Capitale. La plupart de ces populations ont un caractère relictuel, elles sont donc isolées de longue date et d'un intérêt patrimonial élevé.

Franz Gassert signale deux sous-espèces observées, brogniardi et merremius (Böhme 1986)

Les insectes constituent l’alimentation exclusive de cette espèce prioritaire et font donc partie intégrante de son habitat. Il est donc primordial de permettre aux populations d’insectes de se développer librement. Notez également que certains insectes sont protégés.
Comportement : Animal à sang froid le Lézard des murailles est diurne, il est actif pendant 9 à 12 h suivant la saison et la température.

Le comportement de chauffage au soleil a une grande importance. Lorsque la température du substrat est proche de la température préférée des Lézards (34°C) ceux-ci passent 95% de leur temps à se chauffer au soleil (Edsman 1986).Il est donc indispensable que son habitat soit préservé de toute pollution.

Des études réalisées estiment qu’une population de 165 adultes à l’hectare peut être considérée comme étant dans un état de conservation favorable (Guillaume 1987) ce qui n’est actuellement pas le cas.

La présence du lézard des murailles et son importance en tant qu’espèce prioritaire avaient déjà été signalées dans le rapport ACREA concernant le site de Dave.

Podarcis muralis

Conclusions.

D’après les observations réalisées il est évident que l’utilisation de la magnésie et des substances antidérapantes sont des  pollutions chimiques et qu’elles ont des impacts négatifs sur la conservation des habitats Natura 2000, ainsi que sur les espèces protégées. Substances importées elles constituent des menaces pour l’équilibre de la biodiversité et leurs présences dans un site naturel et à plus forte raison dans un site Natura 2000, n’est pas souhaitable. Le compromis visant à permettre leur utilisation dans les cas extrêmes est une porte ouverte à tous les abus comme nous le constatons depuis plus de quinze ans.

En ce qui concerne la colophane nous ne nous prononcerons pas actuellement sur le détail de son impact sur les habitats, si elle est provisoirement autorisée cela devrait être uniquement dans les cas extrêmes, son utilisation devra être contrôlée et sa présence proprement éliminée après utilisation. Une étude scientifique de l’impact de la colophane devra être réalisée sans délais.

Afin de rétablir la biodiversité sur la totalité de la surface des parois, il est impératif que les rochers actuellement contaminés soient dépollués sans délais.

 

 

 
 

Guy Bungart

Novembre 2013